Propriété intellectuelle et dommage moral: La Cour de Justice de l’UE se prononce
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Propriété intellectuelle et dommage moral: La Cour de Justice de l’UE se prononce

La Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE« ) a émis le 17 mars 2016 un jugement en réponse à une demande de décision préjudicielle soulevée par la Cour Suprême espagnole relative à une violation de propriété intellectuelle en Espagne.

La CJUE a déclaré que la tutelle des droits de propriété intellectuelle comprend le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice moral, même quand le critère de dédommagement des dommages matériels subis suit la méthode du calcul forfaitaire (également connue comme méthode de calcul des « redevances hypothétiques« ) et non seulement la méthode des préjudices économiques complets subis.

Enjeu de la décision

L’importance de cette décision de la CJUE dérive du fait qu’elle consiste en une interprétation de la Directive 2004/48/CE, laquelle est applicable, selon son article 1, aux droits de propriété intellectuelle et de propriété industrielle.

Par conséquent, sur la base de cette décision de la CJUE, le préjudice moral pourra être réclamé dans tous les cas de violation de propriété intellectuelle et industrielle (marques et brevets), aussi bien quand la partie lésée demande la réparation de tous les dommages matériels subis que quand elle réclame une indémnisation forfaitaire.

Nous conseillons donc nos clients de bien valoriser leurs possibilités de réclamer, à partir de cette décision de la CJUE, le dommage moral subi dans tous les cas de violation de leurs droits de propriété intellectuelle et industrielle.

Les faits

Cette demande de décision prejudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Liffers à Producciones Mandarina SL (« Mandarina ») et Mediaset España Comunicación,  S.A.  (« Mediaset »), au sujet d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle en Espagne.

M. Liffers est le réalisateur, le scénariste et le producteur de l’œuvre audiovisuelle intitulée « Dos patrias, Cuba y la noche » (Deux patries, Cuba et la nuit), qui raconte six histoires personnelles et intimes de divers habitants de La Havane (Cuba). Mandarina a réalisé un documentaire audiovisuel en insérant quelques passages de l’œuvre « Dos patrias, Cuba y la Noche » sans qu’une autorisation ait été demandée à M. Liffers. Ledit documentaire a été diffusé par la chaîne de télévision espagnole Telecinco, appartenant à Mediaset.

M. Liffers a saisi le Juzgado de lo Mercantil n° 6 de Madrid (Tribunal de Commerce n° 6 de Madrid) d’un recours contre Mandarina et Mediaset, par lequel il a demandé au dit tribunal, notamment, d’enjoindre à ces dernières de cesser toute violation de ses droits de propriété intellectuelle en Espagne et de les condamner à lui verser un montant de 6 740 euros, en raison de la violation de ses droits d’exploitation, ainsi qu’un montant additionnel de 10 000 euros, au titre de l’indemnisation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi.

M. Liffers a évalué le montant des dommages-intérêts pour la violation des droits d’exploitation de son œuvre en se référant au montant des redevances ou des droits qui lui auraient été dus si Mandarina et Mediaset lui avaient demandé l’autorisation de faire usage du droit de propriété intellectuelle en question, faisant ainsi application de la loi espagnole sur la propriété intellectuelle (elle-même basée sur la Directive 2004/48) qui permet au titulaire du droit lésé d’évaluer la réparation de son dommage sur le montant des redevances ou des droits qui lui auraient été dus si le contrevenant lui avait demandé une autorisation de faire usage de ce droit (ci-après les «redevances hypothétiques»).

Ce mode de calcul n’impose pas au demandeur en dommages-intérêts d’établir l’étendue de son préjudice réel, à différence de l’autre mode de calcul prévu dans la loi (et la directive), qui oblige à la partie lésée de démontrer le montant exact du préjudice économique souffert.

À cet effet, M. Liffers s’est fondé sur les tarifs de l’organisme espagnol de gestion des droits des producteurs audiovisuels (Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales).

Au montant ainsi établi du préjudice matériel, M. Liffers a ajouté une somme forfaitaire, au titre du préjudice moral qu’il estimait avoir subi.

Les décisions des tribunaux espagnols

Le Juzgado de lo Mercantil n° 6 de Madrid a fait partiellement droit au recours de M. Liffers et a condamné Mandarina ainsi que Mediaset, notamment, à lui verser un montant de 3 370 euros en vue de la réparation du dommage matériel causé par cette violation ainsi qu’un montant de 10 000 euros au titre du préjudice moral.

Saisie en appel, l’Audiencia Provincial de Madrid (Cour Provinciale de Madrid) a ramené à la somme de 962,33 euros l’indemnisation du dommage matériel et a annulé entièrement la condamnation de Mandarina et de Mediaset à réparer le préjudice moral.

En effet, selon cette juridiction, M. Liffers ayant fait le choix du mode de calcul fondé sur les redevances hypothétiques, il n’était plus fondé à réclamer, en outre, l’indemnisation de son préjudice moral.

Il aurait dû, à cet effet, opter pour le mode de calcul alternatif prévu dans la loi de propriété intellectuelle en Espagne.

Dans son pourvoi formé devant la juridiction de renvoi, le Tribunal Supremo (Cour Suprême), M. Liffers fait valoir que l’indemnisation du préjudice moral doit être accordée dans tous les cas.

La CJUE nourrit des doutes concernant l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 et de l’article 140, paragraphe 2, de la loi sur la propriété intellectuelle en Espagne visant à transposer cette disposition en droit espagnol.

Les conclusions de la CJUE

La CJUE constante tout d’abord que le libellé de l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous b), de la directive 2004/48 n’évoque pas le préjudice moral en tant qu’élément que les autorités judiciaires doivent prendre en considération lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts à verser au titulaire du droit.

Toutefois, ladite disposition, en prévoyant la possibilité de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts sur la base, «au moins», des éléments qui y sont mentionnées, permet d’inclure dans ce montant d’autres éléments, tels que, le cas échéant, l’indemnisation du préjudice moral causé au titulaire de ce droit.

La CJUE considère qu’une fixation forfaitaire des montants de dommages-intérêts dus basée sur les seules redevances hypothétiques ne couvre que le préjudice matériel subi par le titulaire du droit de propriété intellectuelle concerné, si bien que, pour permettre une réparation intégrale, ce titulaire doit pouvoir demander, en sus des dommages- intérêts ainsi calculés, l’indemnisation du préjudice moral qu’il a éventuellement enduré.

Dans ces conditions, la CJUE estime que l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il permet à la personne lésée par une violation de son droit de propriété intellectuelle, qui réclame une indemnisation de son dommage matériel calculée, conformément au second alinéa, sous b), du paragraphe 1, de cet article, sur la base du montant des redevances hypothétiques, de réclamer de surcroît l’indemnisation de son préjudice moral telle qu’elle est prévue au paragraphe 1, second alinéa, sous a), dudit article.

N’hésitez pas à nous contacter pour toute question dérivée de ce jugement ou concernant vos doutes de la tutelle de la propriété intellectuelle et industrielle en Espagne.

Photo: Habana Sunset II, by Jaume Escofet, under CC license.

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